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PARALLÉLISME ET MONISME

montrerait sans peine. Tout notre prétendu empirisme en est encore pénétré. La physique et la chimie n’étudient que la matière inerte ; la biologie, quand elle traite physiquement et chimiquement l’être vivant, n’en considère que le côté inertie. Les explications mécanistiques n’englobent donc, en dépit de leur développement, qu’une petite partie du réel. Supposer a priori que la totalité du réel est résoluble en éléments de ce genre, ou du moins que le mécanisme pourrait donner une traduction intégrale de ce qui se passe dans le monde, c’est opter pour une certaine métaphysique, celle même dont un Spinoza et un Leibniz ont posé les principes, tiré les conséquences. Certes, un psycho-physiologiste qui affirme l’équivalence exacte de l’état cérébral et de l’état psychologique, qui se représente la possibilité, pour quelque intelligence surhumaine, de lire dans le cerveau ce qui se passe dans la conscience, se croit bien loin des métaphysiciens du XVIIe siècle, et très près de l’expérience. Pourtant l’expérience pure et simple ne nous dit rien de semblable. Elle nous montre l’interdépendance du physique et du moral, la nécessité d’un certain substratum cérébral pour l’état psychologique, rien de plus. De ce qu’un terme est solidaire d’un autre terme, il ne suit pas qu’il y ait équivalence entre les deux. Parce qu’un certain écrou est nécessaire à une certaine machine, parce que la machine fonctionne quand on laisse l’écrou et s’arrête quand on l’enlève, on ne dira pas que l’écrou soit l’équivalent de la machine. Il faudrait, pour que la correspondance fût équivalence, qu’à une partie quelconque de la machine correspondît une partie déterminée de l’écrou, — comme dans une traduction littérale où chaque chapitre rend un chapitre, chaque phrase une phrase, chaque mot un mot. Or, la relation du cerveau à la conscience