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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

de l’univers, des systèmes de points matériels tels que, la position de chacun de ces points étant connue à un moment donné, on pût la calculer ensuite pour n’importe quel moment. Comme d’ailleurs les systèmes ainsi définis étaient les seuls sur lesquels la nouvelle science eût prise, et comme on ne pouvait dire a priori si un système satisfaisait ou ne satisfaisait pas à la condition voulue, il était utile de procéder toujours et partout comme si la condition était réalisée. Il y avait là une règle méthodologique tout indiquée, et si évidente qu’il n’était même pas nécessaire de la formuler. Le simple bon sens nous dit, en effet, que lorsque nous sommes en possession d’un instrument efficace de recherche, et que nous ignorons les limites de son applicabilité, nous devons faire comme si cette applicabilité était sans limite : il sera toujours temps d’en rabattre. Mais la tentation devait être grande, pour le philosophe, d’hypostasier cette espérance ou plutôt cet élan de la nouvelle science, et de convertir une règle générale de méthode en loi fondamentale des choses. On se transportait alors à la limite ; on supposait la physique achevée et embrassant la totalité du monde sensible. L’univers devenait un système de points dont la position était rigoureusement déterminée à chaque instant par rapport à l’instant précédent, et théoriquement calculable pour n’importe quel moment. On aboutissait, en un mot, au mécanisme universel. Mais il ne suffisait pas de formuler ce mécanisme ; il fallait le fonder, c’est-à-dire en prouver la nécessité, en donner la raison. Et, l’affirmation essentielle du mécanisme étant celle d’une solidarité mathématique de tous les points de l’univers entre eux, de tous les moments de l’univers entre eux, la raison du mécanisme devait se trouver dans l’unité d’un principe où se contractât tout ce qu’il y a de juxtaposé