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L’EXISTENCE ET LE NÉANT

Telles sont précisément les conclusions d’une doctrine comme celle de Spinoza ou même de Leibniz par exemple, et telle en a été la genèse.

Si nous pouvions établir que l’idée de néant, au sens où nous la prenons quand nous l’opposons à celle d’existence, est une pseudo-idée, les problèmes qu’elle soulève autour d’elle deviendraient des pseudo-problèmes. L’hypothèse d’un absolu qui agirait librement, qui durerait éminemment, n’aurait plus rien de choquant. Le chemin serait frayé à une philosophie plus rapprochée de l’intuition, et qui ne demanderait plus les mêmes sacrifices au sens commun.


Voyons donc à quoi l’on pense quand on parle du néant. Se représenter le néant consiste ou à l’imaginer ou à le concevoir. Examinons ce que peut être cette image ou cette idée. Commençons par l’image.

Je vais fermer les yeux, boucher mes oreilles, éteindre une à une les sensations qui m’arrivent du monde extérieur : voilà qui est fait, toutes mes perceptions s’évanouissent, l’univers matériel s’abîme pour moi dans le silence et dans la nuit. Je subsiste cependant, et ne puis m’empêcher de subsister. Je suis encore là, avec les sensations organiques qui m’arrivent de la périphérie et de l’intérieur de mon corps, avec les souvenirs que me laissent mes perceptions passées, avec l’impression même, bien positive et bien pleine, du vide que je viens de faire autour de moi. Comment supprimer tout cela ? comment s’éliminer soi-même ? Je puis, à la rigueur, écarter mes souvenirs et oublier jusqu’à mon passé immédiat ; je conserve du moins la conscience que j’ai de mon présent réduit à sa plus extrême pauvreté, c’est-à-dire de l’état actuel de mon corps. Je vais essayer cependant d’en finir