Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.
265
GENÈSE IDÉALE DE LA MATIÈRE

les autres. Tel, un homme qui conserverait ses forces mais les consacrerait de moins en moins à des actes, et finirait par les employer tout entières à faire respirer ses poumons et palpiter son cœur.

Envisagé de ce point de vue, un monde tel que notre système solaire apparaît comme épuisant à tout instant quelque chose de la mutabilité qu’il contient. Au début était le maximum d’utilisation possible de l’énergie : cette mutabilité est allée sans cesse en diminuant. D’où vient-elle ? On pourrait d’abord supposer qu’elle est venue de quelque autre point de l’espace, mais la difficulté ne serait que reculée, et pour cette source extérieure de mutabilité la même question se poserait. On pourrait ajouter, il est vrai, que le nombre des mondes capables de se passer de la mutabilité les uns aux autres est illimité, que la somme de mutabilité contenue dans l’univers est infinie, et que, dès lors, il n’y a pas plus lieu d’en rechercher l’origine que d’en prévoir la fin. Une hypothèse de ce genre est aussi irréfutable qu’elle est indémontrable ; mais parler d’un univers infini consiste à admettre une coïncidence parfaite de la matière avec l’espace abstrait, et par conséquent une extériorité absolue de toutes les parties de la matière les unes par rapport aux autres. Nous avons vu plus haut ce qu’il faut penser de cette dernière thèse, et combien il est difficile de la concilier avec l’idée d’une influence réciproque de toutes les parties de la matière les unes sur les autres, influence à laquelle on prétend justement ici faire appel. On pourrait enfin supposer que l’instabilité générale est sortie d’un état général de stabilité, que la période où nous sommes, et pendant laquelle l’énergie utilisable va en diminuant, a été précédée d’une période où la mutabilité était en voie d’accroissement, que d’ailleurs les alternatives d’ac-