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LES LOIS PHYSIQUES

parce qu’elle s’y reconnaît. Mais ce qui est admirable en soi, ce qui mériterait de provoquer l’étonnement, c’est la création sans cesse renouvelée que le tout du réel, indivisé, accomplit en avançant, car aucune complication de l’ordre mathématique avec lui-même, si savante qu’on la suppose, n’introduira un atome de nouveauté dans le monde, au lieu que, cette puissance de création une fois posée (et elle existe, puisque nous en prenons conscience en nous, tout au moins, quand nous agissons librement), elle n’a qu’à se distraire d’elle-même pour se détendre, à se détendre pour s’étendre, à s’étendre pour que l’ordre mathématique qui préside à la disposition des éléments ainsi distingués, et le déterminisme inflexible qui les lie, manifestent l’interruption de l’acte créateur ; ils ne font qu’un, d’ailleurs, avec cette interruption même.

C’est cette tendance toute négative qu’expriment les lois particulières du monde physique. Aucune d’elles, prise à part, n’a de réalité objective : elle est l’œuvre d’un savant qui a considéré les choses d’un certain biais, isolé certaines variables, appliqué certaines unités conventionnelles de mesure. Et néanmoins il y a un ordre approximativement mathématique immanent à la matière, ordre objectif, dont notre science se rapproche au fur et à mesure de son progrès. Car si la matière est un relâchement de l’inextensif en extensif et, par là, de la liberté en nécessité, elle a beau ne point coïncider tout à fait avec le pur espace homogène, elle s’est constituée par le mouvement qui y conduit, et dès lors elle est sur le chemin de la géométrie. Il est vrai que des lois à forme mathématique ne s’appliqueront jamais sur elle complètement. Il faudrait pour cela qu’elle fût pur espace, et qu’elle sortît de la durée.

On n’insistera jamais assez sur ce qu’il y a d’artificiel