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DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

tions, la répétition du même fait me paraît nécessaire. Nos inductions sont certaines, à nos yeux, dans l’exacte mesure où nous faisons fondre les différences qualitatives dans l’homogénéité de l’espace qui les sous-tend, de sorte que la géométrie est la limite idéale de nos inductions aussi bien que celle de nos déductions. Le mouvement au terme duquel est la spatialité dépose le long de son trajet la faculté d’induire comme celle de déduire, l’intellectualité tout entière.

Il les crée dans l’esprit. Mais il crée aussi, dans les choses, l’ « ordre » que notre induction, aidée de la déduction, retrouve. Cet ordre, auquel notre action s’adosse et où notre intelligence se reconnaît, nous parait merveilleux. Non seulement les mêmes grosses causes produisent toujours les mêmes effets d’ensemble, mais, sous les causes et les effets visibles, notre science découvre une infinité de changements infinitésimaux qui s’insèrent de plus en plus exactement les uns dans les autres à mesure qu’on pousse l’analyse plus loin : si bien qu’au terme de cette analyse la matière serait, nous semble-t-il, la géométrie même. Certes, l’intelligence admire à bon droit, ici, l’ordre croissant dans la complexité croissante : l’un et l’autre ont pour elle une réalité positive, étant de même sens qu’elle. Mais les choses changent d’aspect quand on considère le tout de la réalité comme une marche en avant, indivisée, à des créations qui se succèdent. On devine alors que la complication des éléments matériels, et l’ordre mathématique qui les relie entre eux, doivent surgir automatiquement, dès que se produit, au sein du tout, une interruption ou une inversion partielles. Comme d’ailleurs l’intelligence se découpe dans l’esprit par un processus du même genre, elle est accordée sur cet ordre et cette complication, et les admire