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INTELLIGENCE ET MATÉRIALITÉ

dant, il reste même incommensurable avec elle, étant indivisible et nouveau.

Détendons-nous maintenant, interrompons l’effort qui pousse dans le présent la plus grande partie possible du passé. Si la détente était complète, il n’y aurait plus ni mémoire ni volonté : c’est dire que nous ne tombons jamais dans cette passivité absolue, pas plus que nous ne pouvons nous rendre absolument libres. Mais, à la limite, nous entrevoyons une existence faite d’un présent qui recommencerait sans cesse, – plus de durée réelle, rien que de l’instantané qui meurt et renaît indéfiniment. Est-ce là l’existence de la matière ? Pas tout à fait, sans doute, car l’analyse la résout en ébranlements élémentaires dont les plus courts sont d’une durée très faible, presque évanouissante, mais non pas nulle. On peut néanmoins présumer que l’existence physique incline dans ce second sens, comme l’existence psychique dans le premier.

Au fond de la « spiritualité » d’une part, de la « matérialité » avec l’intellectualité de l’autre, il y aurait donc deux processus de direction opposée, et l’on passerait du premier au second par voie d’inversion, peut-être même de simple interruption, s’il est vrai qu’inversion et interruption soient deux termes qui doivent être tenus ici pour synonymes, comme nous le montrerons en détail un peu plus loin. Cette présomption se confirmera si l’on considère les choses du point de vue de l’étendue, et non plus seulement de la durée.

Plus nous prenons conscience de notre progrès dans la pure durée, plus nous sentons les diverses parties de notre être entrer les unes dans les autres et notre personnalité tout entière se concentrer en un point, ou mieux en une pointe, qui s’insère dans l’avenir en l’entamant sans