Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
NATURE DE L’INSTINCT

noptères paralyseurs déposent leurs œufs dans des Araignées, des Scarabées, des Chenilles qui continueront à vivre immobiles pendant un certain nombre de jours, et qui serviront ainsi de nourriture fraîche aux larves, ayant d’abord été soumis par la Guêpe à une savante opération chirurgicale. Dans la piqûre qu’elles donnent aux centres nerveux de leur victime pour l’immobiliser sans la tuer, ces diverses espèces d’Hyménoptères se règlent sur les diverses espèces de proie auxquelles elles ont respectivement affaire. La Scolie, qui s’attaque à une larve de Cétoine, ne la pique qu’en un point, mais en ce point se trouvent concentrés les ganglions moteurs, et ces ganglions-là seulement : la piqûre de tels autres ganglions pourrait amener la mort et la pourriture, qu’il s’agit d’éviter[1]. Le Sphex à ailes jaunes, qui a choisi pour victime le Grillon, sait que le Grillon a trois centres nerveux qui animent ses trois paires de pattes, ou du moins il fait comme s’il le savait. Il pique l’insecte d’abord sous le cou, puis en arrière du prothorax, enfin vers la naissance de l’abdomen[2]. L’Ammophile hérissée donne neuf coups d’aiguillon successifs à neuf centres nerveux de sa Chenille, et enfin lui happe la tête et la mâchonne, juste assez pour déterminer la paralysie sans la mort[3]. Le thème général est « la nécessité de paralyser sans tuer » : les variations sont subordonnées à la structure du sujet sur lequel on opère. Sans doute, il s’en faut que l’opération soit toujours exécutée parfaitement. On a montré, dans ces derniers temps, qu’il arrive au Sphex ammophile de tuer la Chenille au lieu de la paralyser, que parfois aussi il ne la paraly-

  1. Fabre, Souvenirs entomologiques, 3e série, Paris, 1890, p. 1-69.
  2. Fabre, Souvenirs entomologiques, 1re série, 3e édit., Paris, 1894, p. 93 et suiv.
  3. Fabre, Nouveaux souvenirs entomologiques, Paris, 1882, p. 14 et suiv.