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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

point que nous ne saurions dire, comme on l’a montré bien souvent, où l’organisation finit et où l’instinct commence. Quand le petit poulet brise sa coquille d’un coup de bec, il agit par instinct, et pourtant il se borne à suivre le mouvement qui l’a porté à travers la vie embryonnaire. Inversement, au cours de la vie embryonnaire elle-même (surtout lorsque l’embryon vit librement sous forme de larve) bien des démarches s’accomplissent qu’il faut rapporter à l’instinct. Les plus essentiels d’entre les instincts primaires sont donc réellement des processus vitaux. La conscience virtuelle qui les accompagne ne s’actualise le plus souvent que dans la phase initiale de l’acte et laisse le reste du processus s’accomplir tout seul. Elle n’aurait qu’à s’épanouir plus largement, puis à s’approfondir complètement, pour coïncider avec la force génératrice de la vie.

Quand on voit, dans un corps vivant, des milliers de cellules travailler ensemble à un but commun, se partager la tâche, vivre chacune pour soi en même temps que pour les autres, se conserver, se nourrir, se reproduire, répondre aux menaces de danger par des réactions défensives appropriées, comment ne pas penser à autant d’instincts ? Et pourtant ce sont là des fonctions naturelles de la cellule, les éléments constitutifs de sa vitalité. Réciproquement, quand on voit les Abeilles d’une ruche former un système si étroitement organisé qu’aucun des individus ne peut vivre isolé au delà d’un certain temps, même si on lui fournit le logement et la nourriture, comment ne pas reconnaître que la ruche est réellement, et non pas métaphoriquement, un organisme unique, dont chaque Abeille est une cellule unie aux autres par d’invisibles liens ? L’instinct qui anime l’Abeille se confond donc avec la force dont la cellule est animée, ou ne fait que la prolon-