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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

accessible à notre intelligence, comme d’ailleurs aux sens que notre intelligence prolonge, est celui qui donne prise à notre action. Il faut, pour que nous puissions modifier un objet, que nous l’apercevions divisible et discontinu. Du point de vue de la science positive, un progrès incomparable fut réalisé le jour où l’on résolut en cellules les tissus organisés. L’étude de la cellule, à son tour, a révélé en elle un organisme dont la complexité paraît augmenter à mesure qu’on l’approfondit davantage. Plus la science avance, plus elle voit croître le nombre des éléments hétérogènes qui se juxtaposent, extérieurs les uns des autres, pour faire un être vivant. Serre-t-elle ainsi de plus près la vie ? ou, au contraire, ce qu’il y a de proprement vital dans le vivant ne semble-t-il pas reculer au fur et à mesure qu’on pousse plus loin le détail des parties juxtaposées ? Déjà se manifeste parmi les savants une tendance à considérer la substance de l’organisme comme continue, et la cellule comme une entité artificielle[1]. Mais, à supposer que cette vue finisse par prévaloir, elle ne pourra aboutir, en s’approfondissant elle-même, qu’à un autre mode d’analyse de l’être vivant, et par conséquent à une discontinuité nouvelle, — bien que moins éloignée, peut-être, de la continuité réelle de la vie. La vérité est que cette continuité ne saurait être pensée par une intelligence qui s’abandonne à son mouvement naturel. Elle implique, à la fois, la multiplicité des éléments et la pénétration réciproque de tous par tous, deux propriétés qui ne se peuvent guère réconcilier sur le terrain où s’exerce notre industrie, et par conséquent aussi notre intelligence.

De même que nous séparons dans l’espace, nous fixons

  1. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre III, p. 281.