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FONCTION NATURELLE DE L’INTELLIGENCE

certaine géométrie naturelle, suggérée par les propriétés générales et immédiatement aperçues des solides, que la logique naturelle est sortie. C’est de cette logique naturelle, à son tour, qu’est sortie la géométrie scientifique, qui étend indéfiniment la connaissance des propriétés extérieures des solides[1]. Géométrie et logique sont rigoureusement applicables à la matière. Elles sont là chez elles, elles peuvent marcher là toutes seules. Mais, en dehors de ce domaine, le raisonnement pur a besoin d’être surveillé par le bon sens, qui est tout autre chose.

Ainsi, toutes les forces élémentaires de l’intelligence tendent à transformer la matière en instrument d’action, c’est-à-dire, au sens étymologique du mot, en organe. La vie, non contente de produire des organismes, voudrait leur donner comme appendice la matière inorganique elle-même, convertie en un immense organe par l’industrie de l’être vivant. Telle est la tâche qu’elle assigne d’abord à l’intelligence. C’est pourquoi l’intelligence se comporte invariablement encore comme si elle était fascinée par la contemplation de la matière inerte. Elle est la vie regardant au dehors, s’extériorisant par rapport à elle-même, adoptant en principe, pour les diriger en fait, les démarches de la nature inorganisée. De là son étonnement quand elle se tourne vers le vivant et se trouve en face de l’organisation. Quoi qu’elle fasse alors, elle résout l’organisé en inorganisé, car elle ne saurait, sans renverser sa direction naturelle et sans se tordre sur elle-même, penser la continuité vraie, la mobilité réelle, la compénétration réciproque et, pour tout dire, cette évolution créatrice qui est la vie.

S’agit-il de la continuité ? L’aspect de la vie qui est

  1. Nous reviendrons sur tous ces points dans le chapitre suivant.