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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

tentiel, une somme considérable d’énergie chimique, elles constituent des espèces d’explosifs, qui n’attendent qu’une étincelle pour mettre en liberté la force emmagasinée. Maintenant, il est probable que la vie tendait d’abord à obtenir, du même coup, et la fabrication de l’explosif et l’explosion qui l’utilise. Dans ce cas, le même organisme qui aurait emmagasiné directement l’énergie de la radiation solaire l’aurait dépensée en mouvements libres dans l’espace. Et c’est pourquoi nous devons présumer que les premiers êtres vivants ont cherché, d’une part, à accumuler sans relâche de l’énergie empruntée au Soleil et, d’autre part, à la dépenser d’une manière discontinue et explosive par des mouvements de locomotion : les Infusoires à chlorophylle, les Euglènes, symbolisent peut-être encore aujourd’hui, mais sous une forme étriquée et incapable d’évoluer, cette tendance primordiale de la vie. Le développement divergent des deux règnes correspond-il à ce qu’on pourrait appeler métaphoriquement l’oubli, par chaque règne, d’une des deux moitiés du programme ? Ou bien, ce qui est plus vraisemblable, la nature même de la matière que la vie trouvait devant elle sur notre planète s’opposait-elle à ce que les deux tendances pussent évoluer bien loin ensemble dans un même organisme ? Ce qui est certain, c’est que le végétal a appuyé surtout dans le premier sens et l’animal dans le second. Mais si, dès le début, la fabrication de l’explosif avait pour objet l’explosion, c’est l’évolution de l’animal, bien plus que celle du végétal, qui indique, en somme, la direction fondamentale de la vie. L’ « harmonie » des deux règnes, les caractères complémentaires qu’ils présentent, viendraient donc enfin de ce qu’ils développent deux tendances d’abord fondues en une seule. Plus la tendance originelle et