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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

seconds, par une action discontinue, concentrée en quelques instants, consciente, vont chercher ces corps dans des organismes qui les ont déjà fixés. Ce sont deux manières différentes de comprendre le travail ou, si l’on aime mieux, la paresse. Aussi nous paraît-il douteux qu’on découvre jamais à la plante des éléments nerveux, si rudimentaires qu’on les suppose. Ce qui correspond, chez elle, à la volonté directrice de l’animal, c’est, croyons-nous, la direction où elle infléchit l’énergie de la radiation solaire quand elle s’en sert pour rompre les attaches du carbone avec l’oxygène dans l’acide carbonique. Ce qui correspond, chez elle, à la sensibilité de l’animal, c’est l’impressionnabilité toute spéciale de sa chlorophylle à la lumière. Or, un système nerveux étant, avant tout, un mécanisme qui sert d’intermédiaire entre des sensations et des volitions, le véritable « système nerveux » de la plante nous paraît être le mécanisme ou plutôt le chimisme sui generis qui sert d’intermédiaire entre l’impressionnabilité de sa chlorophylle à la lumière et la production de l’amidon. Ce qui revient à dire que la plante ne doit pas avoir d’éléments nerveux, et que le même élan qui a porté l’animal à se donner des nerfs et des centres nerveux a dû aboutir, dans la plante, à la fonction chlorophyllienne[1].

Ce premier coup d’œil jeté sur le monde organisé va

  1. De même que la plante, dans certains cas, retrouve la faculté de se mouvoir activement qui sommeille en elle, ainsi l’animal peut, dans des circonstances exceptionnelles, se replacer dans les conditions de la vie végétative et développer en lui un équivalent de la fonction chlorophyllienne. Il paraît résulter, en effet, des récentes expériences de Maria von Linden que les chrysalides et les chenilles de divers Lépidoptères, sous l’influence de la lumière, fixent le carbone de l’acide carbonique contenu dans l’atmosphère (M. von Linden, L’assimilation de l’acide carbonique par les chrysalides de Lépidoptères, C. R. de la Soc. de biologie, 1905, p. 692 et suiv.).