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L’ÉLAN VITAL

Mais, en parlant d’une marche à la vision, ne revenons-nous pas à l’ancienne conception de la finalité ? Il en serait ainsi, sans aucun doute, si cette marche exigeait la représentation, consciente ou inconsciente, d’un but à atteindre. Mais la vérité est qu’elle s’effectue en vertu de l’élan originel de la vie, qu’elle est impliquée dans ce mouvement même, et que c’est précisément pourquoi on la retrouve sur des lignes d’évolution indépendantes. Que si maintenant on nous demandait pourquoi et comment elle y est impliquée, nous répondrions que la vie est, avant tout, une tendance à agir sur la matière brute. Le sens de cette action n’est sans doute pas prédéterminé : de là l’imprévisible variété des formes que la vie, en évoluant, sème sur son chemin. Mais cette action présente toujours, à un degré plus ou moins élevé, le caractère de la contingence ; elle implique tout au moins un rudiment de choix. Or, un choix suppose la représentation anticipée de plusieurs actions possibles. Il faut donc que des possibilités d’action se dessinent pour l’être vivant avant l’action même. La perception visuelle n’est pas autre chose[1] : les contours visibles des corps sont le dessin de notre action éventuelle sur eux. La vision se retrouvera donc, à des degrés différents, chez les animaux les plus divers, et elle se manifestera par la même complexité de structure partout où elle aura atteint le même degré d’intensité.

Nous avons insisté sur ces similitudes de structure en général, sur l’exemple de l’œil en particulier, parce que nous devions définir notre attitude vis-à-vis du mécanisme, d’une part, et du finalisme, de l’autre. Il nous reste maintenant à la décrire, avec plus de précision, en elle-même.

  1. Voir, à ce sujet, Matière et Mémoire, chap. 1.