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C’est bien, en effet, par un sentiment comparable à la sensation de vertige que la folie débute dans beaucoup de cas. Le malade est désorienté. Il vous dira que les objets matériels n’ont plus pour lui la solidité, le relief, la réalité d’autrefois. Un relâchement de la tension, ou plutôt de l’attention, avec laquelle l’esprit se fixait sur la partie du monde matériel à laquelle il avait affaire, voilà en effet le seul résultat direct du dérangement cérébral — le cerveau étant l’ensemble des dispositifs qui permettent à l’esprit de répondre à l’action des choses par des réactions motrices, effectuées ou simplement naissantes, dont la justesse assure la parfaite insertion de l’esprit dans la réalité.

Telle serait donc, en gros, la relation de l’esprit au corps. Il m’est impossible d’énumérer ici les faits et les raisons sur lesquels cette conception se fonde. Et pourtant je ne puis vous demander de me croire sur parole. Comment faire ? Il y aurait d’abord un moyen, semble-t-il, d’en finir rapidement avec la théorie que je combats : ce serait de montrer que l’hypothèse d’une équivalence entre le cérébral et le mental est contradictoire avec elle-même quand on la prend dans toute sa rigueur, qu’elle nous demande d’adopter en même temps deux points de vue opposés et d’employer simultanément deux systèmes de notation qui s’excluent. J’ai tenté cette démonstration autrefois ; mais, quoiqu’elle soit bien simple, elle exige certaines considérations préliminaires sur le réalisme et l’idéalisme, dont l’exposé nous entraînerait trop loin[1]. Je reconnais d’ailleurs qu’on peut s’arranger de manière à donner à

  1. Nous la donnons à la fin du volume. Voir le dernier essai.