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alors dans la rue, c’est dans ce très simple appareil qu’il s’offrira aux regards des passants. Ceux-ci n’en seront d’ailleurs pas choqués, car il est rare que les excentricités auxquelles nous nous livrons en songe paraissent émouvoir les spectateurs, si confus que nous en puissions être nous-mêmes. Je viens de citer un rêve bien connu. En voici un autre, que beaucoup d’entre vous ont dû faire. Il consiste à se sentir voler, planer, traverser l’espace sans toucher terre. En général, quand il s’est produit une fois, il tend à se reproduire, et à chaque nouvelle expérience on se dit : « J’ai souvent rêvé que j’évoluais au-dessus du sol, mais cette fois je suis bien éveillé. Je sais maintenant, et je vais montrer aux autres, qu’on peut s’affranchir des lois de la pesanteur. » Si vous vous réveillez brusquement, voici, je crois, ce que vous trouverez. Vous sentiez que vos pieds avaient perdu leurs points d’appui, puisque vous étiez en effet étendu. D’autre part, croyant ne pas dormir, vous n’aviez pas conscience d’être couché. Vous vous disiez donc que vous ne touchiez plus terre, encore que vous fussiez debout. C’est cette conviction que développait votre rêve. Remarquez, dans les cas où vous vous sentez voler, que vous croyez lancer votre corps sur le côté à droite ou à gauche, en l’enlevant d’un brusque mouvement du bras qui serait comme un coup d’aile. Or, ce côté est justement celui sur lequel vous êtes couché. Réveillez-vous, et vous trouverez que la sensation d’effort pour voler ne fait qu’un avec la sensation de pression du bras et du corps contre le lit. Celle-ci, détachée de sa cause, n’était plus qu’une vague sensation de fatigue, attribuable à un effort. Rattachée alors à la conviction que votre corps avait quitté le sol,