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du moins devait-elle y renoncer provisoirement. Plus d’une fois, au cours de son histoire, elle a subi une nécessité de ce genre. D’un principe immanent à sa méthode elle sacrifie quelque chose à une hypothèse immédiatement vérifiable et qui donue tout de suite des résultats utiles : si l’avantage se maintient, ce sera que l’hypothèse était vraie par un côté, et dès lors cette hypothèse se trouvera peut-être un jour avoir contribué définitivement à établir le principe qu’elle avait provisoirement fait écarter. C’est ainsi que le dynamisme newtonien parut couper court au développement du mécanisme cartésien. Descartes posait que tout ce qui relève de la physique est étalé en mouvement dans l’espace : par là il donnait la formule idéale du mécanisme universel. Mais s’en tenir à cette formule eût été considérer globalement le rapport de tout à tout ; on ne pouvait obtenir une solution, fût-elle provisoire, des problèmes particuliers qu’en découpant et en isolant plus ou moins artificiellement des parties dans l’ensemble : or, dès qu’on néglige de la relation, on introduit de la force. Cette introduction n’était que cette élimination même ; elle exprimait la nécessité où se trouve l’intelligence humaine d’étudier la réalité partie par partie, impuissante qu’elle est à former tout d’un coup une conception à la fois synthétique et analytique de l’ensemble. Le dynamisme de Newton pouvait donc être — et s’est trouvé être en fait — un acheminement