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personnage de Morus, « assis bien tranquille », prenne la résolution de courir à son tour, qu’il se lève et qu’il coure : on aura beau soutenir que sa course est un déplacement réciproque de son corps et du sol, qu’il se meut si notre pensée immobilise la Terre, mais que c’est la Terre qui se meut si nous décrétons immobile le coureur, jamais il n’acceptera le décret, toujours il déclarera qu’il perçoit immédiatement son acte, que cet acte est un fait, et que le fait est unilatéral. Cette conscience qu’il a de mouvements décidés et exécutés, tous les autres hommes et la plupart sans doute des animaux la possèdent également. Et, du moment que les êtres vivants accomplissent ainsi des mouvements qui sont bien d’eux, qui se rattachent uniquement à eux, qui sont perçus du dedans, mais qui, considérés du dehors, n’apparaissent plus à l’œil que comme une réciprocité de déplacement, on peut conjecturer qu’il en est ainsi des mouvements relatifs en général, et qu’une réciprocité de déplacement est la manifestation à nos yeux d’un changement interne, absolu, se produisant quelque part dans l’espace. Nous avons insisté sur ce point dans un travail que nous intitulions Introduction à la métaphysique. Telle nous paraissait en effet être la fonction du métaphysicien : il doit pénétrer à l’intérieur des choses ; et l’essence vraie, la réalité profonde d’un mouvement ne peut jamais lui être mieux révélée que lorsqu’il accomplit le mouvement