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l’un à l’autre, ou plus simplement que l’écart entre et diminue ou grandit. La « réciprocité » du mouvement est donc un fait d’observation. On pourrait l’énoncer a priori comme une condition de la science, car la science n’opère que sur des mesures, la mesure porte en général sur des longueurs, et, quand une longueur croît ou décroît, il n’y a aucune raison de privilégier l’une des extrémités : tout ce qu’on peut affirmer est que l’écart grandit ou diminue entre les deux[1].

Certes, il s’en faut que tout mouvement se réduise à ce qui en est aperçu dans l’espace. A côté des mouvements que nous observons seulement du dehors, il y a ceux que nous nous sentons aussi produire. Quand Descartes parlait de la réciprocité du mouvement[2], ce n’est pas sans raison que Morus lui répondait : « Si je suis assis tranquille, et qu’un autre, s’éloignant de mille pas, soit rouge de fatigue, c’est bien lui qui se meut et c’est moi qui me repose[3]. » Tout ce que la science pourra nous dire de la relativité du mouvement perçu par nos yeux, mesuré par nos règles et nos horloges, laissera intact le sentiment profond que nous avons d’accomplir des mouvements et de fournir des efforts dont nous sommes les dispensateurs. Que le

  1. Voir sur ce point, dans Matière et Mémoire, les pages 214 et suiv.
  2. Descartes, Principes, II, 29.
  3. H. Morus, Scripta philosophica, 1679, t. II, p. 248.