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DILATATION DU TEMPS.

verrait la seconde de s’allonger sur comme un fil élastique qu’on tire, comme un trait qu’on regarde à la loupe. Entendons-nous : aucun changement ne s’est produit dans le mécanisme de l’horloge, ni dans son fonctionnement. Le phénomène n’a rien de comparable à l’allongement d’un balancier. Ce n’est pas parce que des horloges vont plus lentement que le Temps s’est allongé ; c’est parce que le Temps s’est allongé que les horloges, restant telles quelles, se trouvent marcher plus lentement. Par l’effet du mouvement, un temps plus long, étiré, dilaté, vient remplir l’intervalle entre deux positions de l’aiguille. Même ralentissement, d’ailleurs, pour tous les mouvements et tous les changements du système, puisque chacun d’eux pourrait aussi bien devenir représentatif du Temps et s’ériger en horloge.

Nous venons de supposer, il est vrai, que l’observateur terrestre suivait l’aller et le retour du rayon lumineux de en et de en , et mesurait la vitesse de la lumière sans avoir à consulter d’autre horloge que celle du point . Qu’arriverait-il si l’on mesurait cette vitesse à l’aller seulement, en consultant alors deux horloges[1] placées respectivement

  1. 1. Il va sans dire que nous appelons horloge, dans ce paragraphe, tout dispositif permettant de mesurer un intervalle de temps ou de situer exactement deux instants par rapport l’un à l’autre. Dans les expériences relatives à la vitesse de la lumière, la roue dentée de Fizeau, le miroir tournant de Foucault sont des horloges. Plus général encore sera le sens du mot dans l’ensemble de la présente étude. Il s’appliquera aussi bien à un processus naturel. Horloge sera la Terre qui tourne.
    D’autre part, quand nous parlons du zéro d’une horloge, et de l’opération par laquelle on déterminera la place du zéro sur une autre horloge pour obtenir la concordance entre les deux, c’est uniquement pour fixer les idées que nous faisons intervenir des cadrans et des aiguilles. Etant donné deux dispositifs quelconques, naturels ou artificiels, servant à la mesure du temps, étant donné par conséquent deux mouvements, on pourra appeler zéro n’importe quel point, arbitrairement choisi comme origine, de la trajectoire du premier mobile. La fixation du zéro dans le second dispositif consistera simplement à marquer, sur le trajet du second mobile, le point qui sera censé correspondre au même instant. Bref, la « fixation du zéro » devra être entendue dans et qui va suivre comme l’opération réelle ou idéale, effectuée ou simplement pensée, par laquelle auront été marqués respectivement, sur les deux dispositifs, deux points dénotant une première simultanéité.