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est bien un être vivant et conscient à l’instant où il quitte Pierre ; il est bien encore un être vivant et conscient à l’instant où il revient à Pierre ; (il resterait même un être vivant et conscient dans l’intervalle si l’on convenait, pendant cet intervalle, de laisser de côté toute considération de mesure et plus spécialement toute physique relativiste) ; mais pour Pierre physicien, prenant des mesures et raisonnant sur des mesures, acceptant les lois de la perspective physico-mathématique, Paul une fois lancé dans l’espace n’est plus qu’une représentation de l’esprit, une image — ce que j’ai appelé un « fantôme » ou encore une « marionnette vide ». C’est ce Paul en route (ni conscient, ni vivant, réduit à l’état d’image) qui est dans un Temps plus lent que celui de Pierre. En vain donc Pierre, attaché au système immobile que nous appelons le système Terre, voudrait-il interroger ce Paul-là, au moment où il va rentrer dans le système, sur ses impressions de voyage : ce Paul-là n’a rien constaté et n’a pas eu d’impressions, n’étant qu’une représentation de Pierre. Il s’évanouit d’ailleurs au moment où il touche le système de Pierre. Le Paul qui a des impressions est un Paul qui a vécu dans l’intervalle, et le Paul qui a vécu dans