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« J’arrive alors au point essentiel.

« Si l’on se place en dehors de la théorie de la Relativité, il n’y a aucun inconvénient à s’exprimer comme tout le monde, à dire que Pierre et Paul existent en même temps comme êtres conscients, voire comme physiciens, l’un étant absolument immobile et l’autre absolument en mouvement. Mais, du point de vue de la théorie de la Relativité, l’immobilité dépend d’un libre décret : est immobile le système où l’on se place par la pensée. Là est donc, par hypothèse, un physicien « vivant et conscient ». Bref, Pierre est un physicien, un être vivant et conscient. Mais Paul ? Si je le laisse vivant et conscient, à plus forte raison si je fais de lui un physicien comme Pierre, par là même je suppose qu’il se prend lui-même comme système de référence, par là même je l’immobilise. Or, Pierre et Paul ne peuvent pas être l’un et l’autre immobiles à la fois, puisqu’il y a entre eux, par hypothèse, écart continuellement grandissant d’abord, et ensuite continuellement décroissant. Il faut donc que je choisisse ; et, par le fait, j’ai choisi, puisque j’ai dit que c’était Paul qui était lancé à travers l’espace et que, par là même, j’ai immobilisé le système de Pierre en système de référence[1]. Mais alors, Paul

  1. C’est, évidemment par extension qu’il est fait usage de l’expression « système de référence » dans le passage de la lettre, ci-dessus citée, où il est dit que Paul rebroussant chemin « change de système de référence ». Paul est bien, tour à tour, dans des systèmes qui pourront devenir des systèmes de référence ; mais aucun des deux systèmes, pendant qu’il est censé se mouvoir, n’est système de référence. Voir l’appendice III, et en particulier la note de la page 277.