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Supposez que Pierre et Paul, l’un et l’autre de taille normale, causent ensemble. Pierre reste où il est, à côté de moi ; je le vois et il se voit lui-même en vraie grandeur. Mais Paul s’éloigne et prend, aux yeux de Pierre et aux miens, la dimension d’un nain. Si maintenant, allant me promener, je pense à Pierre comme à un homme de taille normale et à Paul comme à un nain, si je laisse Paul à l’état de nain quand je me le figure revenu auprès de Pierre et reprenant sa conversation avec Pierre, nécessairement j’aboutirai à des absurdités ou à des paradoxes : je n’ai pas le droit de mettre en rapport Pierre demeuré normal et Paul devenu nain, de supposer que celui-ci puisse causer avec celui-là, le voir, l’entendre, accomplir n’importe quel acte, car Paul, en tant que nain, n’est qu’une représentation, une image, un fantôme. Pourtant c’est exactement ce que faisaient et le partisan et l’adversaire de la théorie de la Relativité dans la discussion qui s’engagea au Collège de France, en avril 1922, sur les conséquences de la Relativité restreinte[1]. Le premier s’attachait seulement à établir la parfaite cohérence mathématique de la théorie, mais il conservait alors le paradoxe de Temps multiples et réels, — comme si l’on eut dit que Paul, revenu auprès de Pierre, se trouvait

  1. Nous faisons allusion à une objection présentée par M. Painlevé contre la théorie de la Relativité.