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vides. Que si Pierre leur concédait une âme, il perdrait aussitôt la sienne ; de référés ils seraient devenus référants ; ils seraient physiciens, et Pierre aurait à se faire marionnette à son tour. Ce va-et-vient de conscience ne commence d’ailleurs évidemment que lorsqu’on s’occupe de physique, car il faut bien alors choisir un système de référence. Hors de là, les hommes restent ce qu’ils sont, conscients les uns comme les autres. Il n’y a aucune raison pour qu’ils ne vivent plus alors la même durée et n’évoluent pas dans le même Temps. La pluralité des Temps se dessine au moment précis où il n’y a plus qu’un seul homme ou un seul groupe à vivre du temps. Ce Temps-là devient alors seul réel : c’est le Temps réel de tout à l’heure, mais accaparé par l’homme ou le groupe qui s’est érigé en physicien. Tous les autres hommes, devenus fantoches à partir de ce moment, évoluent désormais dans des Temps que le physicien se représente et qui ne sauraient plus être du Temps réel, n’étant pas vécus et ne pouvant pas l’être. Imaginaires, on en imaginera naturellement autant qu’on voudra.

Ce que nous allons ajouter maintenant semblera paradoxal, et pourtant c’est la simple vérité. L’idée d’un Temps réel commun aux deux systèmes, identique pour S et pour S’, s’impose dans l’hypothèse de la pluralité des Temps mathématiques avec plus de force que dans l’hypothèse communément admise d’un Temps mathématique un et universel. Car,