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physicien réel comme mesuré par des physiciens fictifs. Mais nous reviendrons sur ce point dans le courant de notre travail. Pour le moment, indiquons une autre source d’illusion, moins apparente encore que la première.

Le physicien Pierre admet naturellement (ce n’est qu’une croyance, car on ne saurait le prouver) qu’il y a d’autres consciences que la sienne, répandues sur la surface de la Terre, concevables même en n’importe quel point de l’univers. Paul, Jean et Jacques auront donc beau être en mouvement par rapport à lui : il verra en eux des esprits qui pensent et sentent à sa manière. C’est qu’il est homme avant d’être physicien. Mais quand il tient Paul, Jean et Jacques pour des êtres semblables à lui, pourvus d’une conscience comme la sienne, il oublie réellement sa physique ou profite de l’autorisation qu’elle lui laisse de parler dans la vie courante comme le commun des mortels. En tant que physicien, il est intérieur au système où il prend ses mesures et auquel il rapporte toutes choses. Physiciens encore comme lui, et par conséquent conscients comme lui, seront à la rigueur des hommes attachés au même système : ils construisent en effet, avec les mêmes nombres, la même représentation du monde prise du même point de vue ; ils sont, eux aussi, référants. Mais les autres hommes ne seront plus que référés ; ils ne pourront maintenant être, pour le physicien, que des marionnettes