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Nos deux personnages nous sont apparus en effet comme vivant en seul et même temps, deux cents ans, parce que nous nous placions et au point de vue de l’un et au point de vue de l’autre. Il le fallait, pour interpréter philosophiquement la thèse d’Einstein, qui est celle de la relativité radicale et par conséquent de la réciprocité parfaite du mouvement rectiligne et uniforme[1]. Mais cette manière de procéder est propre au philosophe qui prend la thèse d’Einstein dans son intégralité et qui s’attache à la réalité — je veux dire à la chose perçue ou perceptible — que cette thèse évidemment exprime. Elle implique qu’à aucun moment on ne perdra de vue l’idée de réciprocité et que par conséquent on ira sans cesse de Pierre à Paul et de Paul à Pierre, les tenant pour interchangeables, les immobilisant tour à tour, ne L s immobilisant d’ailleurs que pour un instant, grâce à une oscillation rapide de l’attention qui ne veut rien sacrifier de la thèse de la Relativité. Mais le physicien est bien obligé de procéder autrement, même s’il adhère sans réserve à la théorie d’Einstein. Il commencera, sans doute, par se mettre en règle avec elle. Il affirmera la réciprocité. Il posera qu’on a le choix entre le point de vue de Pierre et celui de Paul. Mais, cela dit, il choisira l’un des

  1. Le mouvement du boulet peut être considéré comme rectiligne et uniforme dans chacun des deux trajets d’aller et de retour pris isolément. C’est tout ce qui est requis pour la validité du raisonnement que nous venons de faire. Voir l’Appendice I à la fin du volume.