Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de temps il a vécu. C’est donc à Paul vivant et conscient que nous devons nous adresser, et non pas à l’image de Paul représentée dans la conscience de Pierre. Mais Paul vivant et conscient prend évidemment pour système de référence son boulet : par là même il l’immobilise. Du moment que nous nous adressons à Paul, nous sommes avec lui, nous adoptons son point de vue. Mais alors, voilà le boulet arrêté : c’est le canon, avec la Terre y attachée, qui fuit à travers l’espace. Tout ce que nous disions de Pierre, il faut maintenant que nous le répétions de Paul : le mouvement étant réciproque, les deux personnages sont interchangeables. Si, tout à l’heure, regardant à l’intérieur de la conscience de Pierre, nous assistions à un certain flux, c’est exactement le même flux que nous allons constater dans la conscience de Paul. Si nous disions que le premier flux était de deux cents ans, c’est de deux cents ans que sera l’autre flux. Pierre et Paul, la Terre et le boulet, auront vécu la même durée et vieilli pareillement.

Où sont donc les deux années de temps ralenti qui devaient paresser mollement pour le boulet tandis que deux cents ans auraient à courir sur la Terre ? Notre analyse les aurait-elle volatilisées ? Que non pas ! nous allons les retrouver. Mais nous n’y pourrons plus rien loger, ni des êtres ni des choses ; et il faudra chercher un autre moyen de ne pas vieillir.