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en fut, sorte d’improvisation définitive qui ne laisse rien à désirer pour la puissance du rendu, et qui n’est que l’expansion naturelle du génie du praticien le plus audacieux qui ait existé. Ces tours de force, Frans Hals les exécutait en une heure, sans cesser de chanter et de rire, sans presque poser son verre. On devine qu’il adorait ces trognes enluminées, aux yeux papillotants, aux bouches rieuses et moqueuses, aux nez écarlates, qu’il trouvait leurs guenilles superlativement pittoresques, et que leur truandisme le ravissait. Il les a tous portraits au vif, pour faire nasarde à la grave postérité sans doute, ces amis de tripot, ces camarades d’ivresse, et c’est dans l’histoire de l’art comme une cour des Miracles avec laquelle il faut compter quoi qu’on en ait. Remarquons, d’ailleurs, que Frans Hals, aussi loin qu’il aille dans le rendu du plaisir populaire, ne dépasse jamais les bornes de la bonne tenue, et qu’il ne va pas, comme Jan Steen, jusqu’à la limite extrême où le latin se substitue de lui-même, sous la plume du critique, aux langues d’usage.

Toutefois Frans Hals, pris subitement d’un accès de dignité, entreprit de se ranger et de conquérir le renom de peintre sérieux que les bons bourgeois de Harlem lui refusaient sur sa conduite. Il se maria en 1611 avec Anneke Hermans, jeune personne belle et prude.

Comme disent les bonnes gens, tant que le monde sera monde, le mariage restera toujours un acte sérieux pour les artistes qui s’y hasardent. Observons toutefois que les Hollandais du dix-septième siècle n’y mettaient point malice et que la psychologie ne s’était point encore avisée de faire peser le mythe de