Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentiments. Ils pensent bien qu’on ne peut vivre et s’habiller avec cette somme et ils font ressortir les avantages qu’on peut trouver sur les théâtres très bien fréquentés. Ensuite ils engagent des femmes célèbres dans les bals, comme spéculation, une autre dans le monde élégant pour sa beauté et ses toilettes, et on vient après cela reprocher l’immoralité des actrices.

« Si elles mettaient les costumes de magasin et si elles vivaient avec leurs appointements, ce serait bien triste à voir et cela ferait peu d’argent !

« Maintenant pourquoi nous reprocher d’aimer le luxe ?

« Le monde nous étant fermé, pauvres réprouvées, notre demeure doit être un palais puisqu’il ne nous est pas permis de voir et de profiter du luxe des autres, de ces duchesses qu’on glorifie et qui n’ont pas eu à subir tout ce qu’on nous fait supporter en nous payant, et en nous protégeant. Car si on nous a tendu la main on nous a bien vite pris l’autre pour la porter sur de bien vilaines choses, hélas, que je n’aurais jamais voulu envisager.

« On devrait nous savoir gré, à nous, abandonnées si jeunes, d’être encore ce que nous sommes, d’avoir eu du courage et de l’intelligence.

« Tu me trouves bête de t’écrire tout cela, mais j’en avais besoin, mon cœur étant bien gros. Garde pour toi seul ce « cahos » de mon âme, ne ris pas de mes tristesses et sache que je ne serai heureuse que lorsque je vivrai au fond d’un bois, que ce monde aura oublié jusqu’à mon nom et que, de temps en temps, tu viendras me serrer la main.

« Alice Ozy. »