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Rodin n’en avait fait qu’un tour : « Ai-je aussi moulé le désert ? » s’était-il écrié, et, dans l’indignation, il avait offert au jury de reproduire sous ses yeux, sans modèle et de mémoire, le morceau incriminé de supercherie. « Je ne demande que la glaise ! » écrivait-il à Falguière. — Ils s’en tirèrent par une médaille.

Aujourd’hui encore, au faîte de la gloire, il n’a pas, comme on dit, déragé de l’imputation offensante de ses confrères. Elle lui fut néanmoins propice en ceci qu’elle le détermina à s’évader de cette célébrité étroite de praticien où on l’enserrait et à entreprendre une composition décorative.

À l’heure où j’écris, le monde entier, tant d’Europe que d’Amérique, a défilé, au Dépôt des marbres, devant cette Porte de l’Enfer de Dante, qui est l’un des monuments de l’art français au dix-neuvième siècle et laisse loin derrière l’illustre haut-relief de Lorenzo Ghiberti au Baptistère de Florence. Ce que j’ai à vous en apprendre, c’est qu’Auguste Rodin, très pauvre et chargé de famille, avait commencé à l’établir avec ses propres et uniques ressources, lesquelles consistaient en travaux de « maçon d’art » (c’est son mot) dans des édifices et hôtels de Paris et de Bruxelles. Il m’a montré lui-même, à l’hôtel Païva, sur les toitures, plusieurs de ses motifs d’ornementation exécutés sous le patronage de Carrier-Belleuse, à la tâche. Ceux-ci, et d’autres, le mirent à même de s’attaquer à sa Porte, et, de jeûnes en jeûnes, il atteignit à cet an de grâce 1879 — où Edmond Turquet vint.

Il vint, vit, et d’emblée, sans tergiverser une minute, tel Léon X chez Michel-Ange, il inscrivit l’œuvre ébauchée pour la commande sur son carnet