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— C’est étrange en effet, car tous les Anglais sont profondément animaliers. Que veux-tu, les bêtes aiment la vie, ils y croient, ce en quoi ils n’ont pas tort peut-être. Allons voir des femmes, veux-tu ?

— Qu’entends-tu par cette expression ?

Nous étions à Hyde Park, à l’heure mondaine du défilé des équipages. Sur des rangs de chaises interminables, les cokneys alignés regardaient passer leur aristocratie nationale. Nous marchions derrière une brave citadine littéralement vêtue de pourpre et d’écarlate qui traînait un petit Indien par la patte, sans susciter d’ailleurs le moindre étonnement, la chienlit étant inconnue et intraduisible en Angleterre. Quelque chose de plus carnavalesque encore se dressait dans la verdure. — Sacrebleu, ne ris pas, me jeta de Nittis, tu te ferais lapider. — C’était la statue de Wellington. Je n’ai rien à vous apprendre de ce chef-d’œuvre de la hideur. C’est la revanche de Waterloo.

Et le défilé commença. Dans le cadre fuyant des voitures de toute carrosserie, antique ou moderne, les plus admirables types de la beauté anglo-saxonne se succédaient sans répit, sous l’uniformité de nos modes parisiennes, autre vengeance. Mais c’est surtout à cheval que l’Anglaise triomphe, et Dieu l’a faite centauresse. Rien de plus émerveillant que les jeunes amazones, aux tailles flexibles, s’enfonçant dans les futaies bleuâtres qu’irisent les poussières liquides des pièces d’eau. C’est encore Walter Scott qui mène son keepsake d’héroïnes. C’est lui qui fait comprendre les amours romanesques qu’elles inspirent et sèment à la course, aujourd’hui comme hier, en dépit du naturalisme qui veut, elles aussi, les