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vous plus cher aux pauvres gens ? Sur quatre amateurs que nous sommes, deux la préfèrent à l’huile et deux à la béchamelle. Et vous, cher ami ? — Le cher ami mordillait sa moustache et feignait de ne pas entendre. Feyen-Perrin, qui était, par ses relations, familier avec les allures militaires, s’épuisait en signes pour faire comprendre à l’imprudent loustic le danger de sa blague, mais Bastien était lancé. L’officier en bourgeois perdit patience, il se leva, et comme il dépouillait l’un de ses gants, Feyen-Perrin n’eut que le temps de lui glisser à l’oreille : — Excusez-nous, mon colonel, c’est un jeune dément que nous conduisons à Bedlam.

Au prochain arrêt, le voyageur descendit, un peu pâle. Et je commençai à penser que si notre ami en collait de pareilles à l’héritier des trois couronnes, il n’était pas près de devenir le peintre officiel de la Cour, ni par conséquent de la gentry.

À Calais, dès les premiers pas qu’il fit sur le pont du paquebot, Bastien-Lepage ressentit les prodromes du mal de mer. J’essayai de le rassurer en lui certifiant, l’histoire en main, que tous les Normands et Guillaume en tête, l’avaient eu, en 1066, sur la même Manche, et dans des bateaux beaucoup plus petits, ce qui ne les avait pas empêchés, à Hastings, de flanquer une tatouille mémorable et décisive à Harold, roi des Pictes et des Angles, de l’aveu même de Walter Scott. Mais mon Holbein était déjà à fond de cale, ou plus exactement dans la salle à manger du bord, où il se préparait à une beuverie immense, le seul remède connu, selon le docteur Monselet, à l’épigastralgie maritime. — Tu vois ce que je te disais, gémissait-il, je vais crever, misère ! à trente-deux ans,