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je n’y allais pas avec lui, il renonçait à la partie, qui était trop grave tout de même. Jouer les Holbein quand on n’est pas sûr d’être un Holbein, rater son coup et revenir bredouille, c’était trop bête. Enfin, il y avait le mal de mer !

— Les peintres, proférai-je, n’ont jamais le mal de mer. Preuve : Joseph Vernet, qui se faisait ficeler dans les huniers pendant les tempêtes. Je te ficellerai, voilà tout, dans les voiles de hune.

Et, stylé par Sarah qui s’adressait à tous ses amis pour qu’ils influassent sur l’Holbein malgré lui, je lui démolissais de mon mieux les arguments qu’il opposait à sa fortune. L’un d’eux, et le plus sérieux, était l’impossibilité où il était de peindre vite, sans le nombre voulu de séances. Il était en effet d’une lenteur terrible au travail, ne procédant que par petites touches, avec de petits pinceaux d’éventailliste, à peine chargés de pâte colorée, et il y avait peu de chances que le prince de Galles mît à la pose autant de patience que Sarah elle-même dont le supplice avait duré six mois et qui avait pensé en devenir folle.

— Voici ce que tu as à faire, lui dis-je, si le prince s’embête. Avec lui, tu n’auras pas besoin de jaspiner la langue de Hudson Lowe. C’est un boulevardier fini. Il sait par cœur tout le répertoire d’Offenbach, paroles et musique, il possède l’argot des ateliers, des coulisses, des tapis francs, il comprend tous les calembours et il en exécute, lui-même, d’admirables. Mets-le là-dessus en sifflant un petit air, lâche-lui le crachoir, et peins. J’oubliais de te dire que tu peux même lui parler de Jeanne d’Arc, il en raffole. Je l’ai vu, au vernissage, devant ton tableau, il en ba-