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l’aristocratie anglaise, car les choses vont ainsi dans les trois royaumes.

Or, Sarah s’était mis en tête que Bastien-Lepage était un nouvel Holbein, ce en quoi elle ne se trompait pas, et comme, entre les épines du buisson de ses défauts, fleurit la rose toujours vivace de la fidélité à ses amitiés, elle avait utilisé son propre triomphe londonien à préparer celui de son peintre. Le prince de Galles avait souri entre deux bouffées de cigare et Bastien-Lepage n’avait plus qu’à passer la Manche, l’Angleterre l’attendait.

C’était un drôle de petit homme que ce grand artiste, avec sa tête carrée de paysan lorrain, son nez retroussé de gavroche et ses mandibules de dogue, le tout éclairé par des yeux pensifs, gris de perle, au regard fixe, tantôt grave, tantôt joyeux. Il marchait alors vers sa trente-deuxième année et sa Jeanne d’Arc écoutant les voix dans le verger de Domrémy passionnait encore la foule et l’élite. Je lui avais été présenté par Paul Arène qui m’avait conduit à son atelier, impasse du Maine, où il trimait, me dit-il, sur une illustration du Docteur Herbeau de Jules Sandeau. Cet atelier occupait tout le grenier d’une maisonnette rustique, telle qu’il en reste encore aux barrières, dont le rez-de-chaussée ouvrait sur un « carré de choux », où un vieux bonhomme en sabots, ridé, chenu et portant lunettes, nous avait reçus la bêche à la main. — C’est le grand-père, m’avait soufflé Arène.

Ce grand-père était célèbre sous cette simple dénomination par un portrait patiemment posé à son petit-fils et qui avait valu à Bastien sa première récompense.