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intellectuelle l’avait amusé, mais du moment que ça tournait à la société anonyme, ce n’était plus pour lui qu’une affaire banale et courante, et il avait d’autres chiens à fouetter qu’un journal illustré avec ou sans bulletin financier.

Mais mon vieux camarade des années d’apprentissage avait son idée de derrière la tête, et pour que cette idée se réalisât, il fallait que le journal durât, car c’était sur lui qu’elle reposait. Il ne me l’avait jamais révélée et quand je la connus, sans l’avoir devinée, elle me précipita, entre le fou rire et les larmes, dans l’abîme de l’ébahissement. Zizi voulait être… édile !

À la vérité, elle n’était pas et ne pouvait être de lui, cette idée occipitale, et il y avait deux oreillers sur le traversin conjugal où elle lui était tombée en cervelle au bout d’un fil d’araignée plafonnante. Quant à vous expliquer comment un périodique d’art pouvait être un levier politique et lancer son homme sur le rond de cuir municipal, j’en quitte le problème aux malins qui comprennent le jeu de l’Urne abracadabrante.

C’était le temps où Léon Gambetta, porté à la Présidence de la Chambre sur le pavois opportuniste, atteignait au faîte du pouvoir. On le traitait déjà de dictateur, et la légende de sa baignoire d’argent trouvait dix crédules sur quinze chez les manezingues, nos vénérés maîtres. Il venait de s’installer au Palais-Bourbon. Il y avait même donné une fête « sans femmes », et par conséquent assez morne, aux dignitaires de la République, et surtout à l’Armée qu’il désirait capter tout comme un autre, et qui l’aimait du reste pour son magnifique effort de ré-