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un journal populaire un roman d’aventures policières, que j’écrivais au jour le jour, sans plan déterminé, et ne sachant pas la veille ce qui s’y passerait le lendemain. Ça commençait par l’histoire abracadabrante d’une comtesse surprise en flagrant délit que son mari enfermait dans une armoire de fer, et cela s’étendait, de digression en digression, sur quatre-vingts feuilletons aussi bêtes d’ailleurs que le genre le comporte. Le succès avait été immense. J’espère que vous m’estimez assez pour croire que je n’avais offert cette élucubration à aucun éditeur. J’étais trop heureux de la laisser tomber aux oubliettes littéraires.

« Dix ans plus tard, le directeur du Figaro, dont j’étais devenu collaborateur, me manda à son cabinet. — Voici, me dit-il : M. de Soubeyran veut être député. Il se présente dans les Hautes-Alpes. Voulez-vous aller soutenir sa candidature ? Vous serez chargé de la presse du département et en général de toutes les choses de la propagande. L’affaire est bonne. — J’étais père de famille et je n’avais pas le droit d’hésiter. Je partis donc pour les Hautes-Alpes, où mon candidat m’avait d’ailleurs précédé, et je le rejoignis à Gap, en pleins comices.

« Il ignorait quel journaliste Magnard lui avait envoyé, il le prenait de sa main, sans plus et confiant dans le choix de l’habile directeur. Je lui avais immédiatement fait passer ma carte pour lui annoncer ma présence. Il était entouré d’électeurs au milieu desquels il évoluait comme en une assemblée d’actionnaires, et comparable à Daniel dans la fosse aux lions. Il lut mon nom sur la carte et son regard s’arrêta sur moi avec une fixité pénétrante. — Ah ! c’est