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Nous étions allés, Georges Charpentier et moi, mettre sous ses auspices notre « boutique à treize ». Nous la trouvâmes la palette au poing, en blouse d’atelier, devant une toile, visiblement impressionnée de la manière d’Alfred Stevens et qui, selon le mot de mon compagnon, « n’était pas gaie pour deux sous ». C’était, je pense, une Ophélie. À cette époque, elle aimait beaucoup à rire : il restait encore de la mortelle dans la déesse et le jugement critique de mon facétieux administrateur la ravit.

— Vous vous y prenez à temps, nous dit-elle, je vais partir pour l’Amérique. J’ai signé avec Jarrett. Je suis dans les couturiers jusqu’au cou et je n’ai plus une minute. Mais pour La Vie Moderne, tout ce que vous voudrez, où vous voudrez, quand vous voudrez ! Oh ! ce journal qu’on fait aux sons de la guitare ! Je n’y mets qu’une condition : on doit geler à l’Hippodrome, il me faut autour de moi des fourrures, une mer de fourrures. Je ne vis que dans les peaux d’ours. Du reste c’est bien simple, j’apporterai les miennes.

Puis, comme elle s’inquiétait de savoir ce qu’elle aurait à vendre pendant cette redoute, je lui montrai un tambour de basque que j’avais apporté dans ma serviette.

— Oh ! fit-elle, ce n’est pas bien original, même pour une fête espagnole.

— Vous ne l’avez pas regardé.

Le tambourin était peint par Antoine Vollon et signé de son nom illustre. Nous avions fait venir d’Espagne une centaine de ces instruments que nous avions distribués d’abord à nos habitués en les engageant à utiliser la peau d’âne comme toile à peindre.