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— À ce titre de meuble, remerciai-je, j’accepte le don au nom de la Société, sans toutefois vous dissimuler que le coopérateur guitariste accompagnateur nous impose, si je le trouve, une dépense sottement oubliée dans nos statuts.

— Mais tout le monde est guitariste, s’écria Vierge, en se pliant de rire. On n’a qu’à racler les quatre poils avec les ongles. Le moindre rédacteur…

— C’est le financier, soulignai-je.

— …suffit à tirer de la courge des harmonies délicieuses. Tenez, mon cher directeur, vous allez voir comme c’est simple.

Et s’emparant de la guitare, il alla s’asseoir au fond du bureau, sur une banquette, et il préluda à une sérénade, dont le balcon était figuré par le transparent lumineux de M. Mercier. Drin, drin, drin. Quel instrument ! Inutile de l’accorder, celui-là. Drin, drin. C’est comme la harpe éolienne quand il vente. Elle est toujours au ton ambiant. Drin, drin. Puis peu à peu, et entraîné par l’allégresse native et natale, l’enfant des Espagnes commença à chanter l’une de ces canzones au rythme mauresque, coupées de contretemps, où s’expriment les ardeurs voluptueuses du pays de Carmen et des autodafés. Enfin, à pleine voix, il attaqua le Vito, qui les résume toutes en une sorte de Marseillaise de l’amour, et où Pagans, chez de Nittis, atteignait à un effet trépidatoire, qui triomphait même d’Edmond de Goncourt et de son impassible foulard blanc.

Daniel Vierge le chantait autrement que Pagans, et sans les vocalises qu’y a superposées Garcia, soit dans le texte original et populaire des cafés de zingari, et on ne pouvait plus l’arrêter. Drin, drin,