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Je pense que le subtil Ulysse, quand il aborda dans l’île de Calypso, ne se présenta pas aux nymphes dans l’état de roulis compliqué de tangage qui caractérisa mon entrée. Le Barbera me traitait en novice. Je m’abattis sur une chaise qui était certainement occupée et qui me procura l’illusion d’avoir deux bras et une tête.

— Aoh ! fit-elle, exclamation que Grand me traduisit par : « Te voilà casé ».

Et il me sembla tout à coup que j’étais dans un nid de rossignol. Une mélodie, délicieusement flûtée, s’épandait dans les ondes sonores de la cave, répercutée par ses voûtes, puis s’égrenait en trilles, et se chromatisait à l’infini, comme volatilisée. De temps en temps, de larges accords de harpe éolienne avaient l’air de vouloir retenir le rossignol dans sa muraille. Puis, à travers une éclaircie, je crus voir le rêve se cristalliser sous la forme d’un gros Italien debout devant un piano forté où ramait une dame d’âge. Les poings sur les hanches, il contractait sa bouche en corolle pour obtenir cette grimace connue sous le nom métaphorique de : cul-de-poule.

Et c’était, en effet, un artiste siffleur dont le Jean Bart offrait la surprise à ces dames. Il siffla ce soir-là toute La Somnambule de Bellini, d’un bout à l’autre, sans les priver d’une note, épouvantablement. Mes camarades se battaient dans les bosquets, et sur ma chaise molle, je rêvais que je roulais parmi les serpents et les crocodiles dans un cercle du Dante.

Je retournai souvent, trop souvent peut-être dans cette île de Calypso tenue par un vainqueur de la Chine et je ne conseille pas aux vrais poitrinaires la