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entendre, devers Courbevoie, les pétarades habituelles, mais pas plus que Dombrowski, ni l’Hôtel de Ville, ni personne, je ne me doutais qu’un autre Perrinet Le Clerc eût livré, le matin même, les clefs de la Ville aux bourguignons de M. Thiers. Je l’appris à l’Arc de Triomphe, en voyant sur la place les bourguignons eux-mêmes, et, au milieu d’eux, un groupe d’armagnacs, c’est-à-dire de fédérés désarmés et rangés en file prisonnière sous le bas-relief de Rude. Ce jour-là, on ne fusillait pas encore sans jugement aux coins des bornes. Néanmoins, il était déjà sensible que la répression allait être violente. Les officiers de l’armée de l’ordre avaient des gestes inquiétants de chasseurs de fauves dans la brousse. Tous les philosophes te diront que le nationalisme développe, entre compatriotes, une fureur guerrière beaucoup plus féroce que l’autre, la fureur internationale, entre peuples étrangers.

— Et Robert Houdin ?

— Au moment où je débouchais sous l’Arc, quatre lignards y amenaient un vieillard de soixante-dix ans, vêtu de l’uniforme de la garde nationale, et portant à la main une boîte au lait. Il protestait d’une voix faible contre son arrestation et il expliquait que resté, par la mort de sa fille, seul soutien de deux petits-enfants, il avait dû s’enrôler, pour les quarante sous de la solde, dans le bataillon insurrectionnel du quartier. « Laissez-moi au moins porter le lait aux bambins », gémissait-il. Mais le capitaine, ramollot congestionné de caricature, ne l’écoutait pas. « Au tas », fit-il, et il poussa brutalement ce pauvre grand-père sous le Rude, dans le groupe des prisonniers.