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je m’enfuis du bouge comme un voleur. Ce que j’avais vu derrière la grange, je l’avais donc bien vu, et tels ils étaient ces vertueux soldats du pieux roi Guillaume assemblés pour châtier la ville impie, affamer Gomorrhe et bombarder Sodome.

Une heure après, je roulais dans le train de Strasbourg, où j’étais d’ailleurs absolument seul. Le soleil séchait les bois et illuminait les prairies. Tout chantait le renouveau, et l’éternel printemps, docile cette année-là aux poètes, réalisait comme un programme le divin rondel de notre Charles d’Orléans :

Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie.

Je me rappelle que, sur le rythme du train, je le chantais à tue-tête dans le wagon, en agitant par la portière mon chapeau de paille aux arbres pleins de nids.

La Ferté-sous-Jouarre…

C’est-à-dire Rosebois et la maman Glaize. La maison décorée du haut en bas par le vieux philosophe du « Pilori », perchée sur le coteau boisé qui dévale à la Marne, où nous avions tous le pain gâteau de l’hospitalité cordiale, familiale et joyeuse, Rosebois, mon château du bonheur.

Je ne m’y croyais nullement attendu, mais n’avais pas besoin d’y annoncer ma venue. J’escaladai la ruelle aux hannetons et j’arrivai devant la petite porte du jardin recouverte de sa draperie de lierre. Elle était close. Mais de l’autre côté du mur, un bruit de râteau dans le sable signalait la présence d’un cher jardinier matinal dont je connaissais les habitudes.