d’un trait, comme un loup blessé lape une mare, vase et grenouilles comprises. Selon toutes les règles de la scène à faire dans le répertoire dont d’Ennery est le Shakespeare, j’offris un tour au « tavernier du diable ».
— Vous poirotez ? lui dis-je dans sa langue.
— C’est le petit… Qu’est-ce qu’il fait, à cette heure de nuit, dehors ?
— En êtes-vous inquiet ? Je vous tiendrai compagnie. Avez-vous quelque chose qui se mange, à boulotter ?
— Plus de pain, plus de brioche ; ces œufs durs, si vous voulez.
Et il me les poussa sur leur assiette.
Le petit qu’il attendait était son fils, je crus du moins le comprendre à travers les hoquets d’un verbe empâté de rogomme.
— Le sacré môme ! il s’est esbigné avec ces messieurs…
— Quels messieurs ?
— Ces messieurs du fort… les Prussiens, quoi, après la partie…
— La partie de quoi ?
— Mais de dominos, là, voyez…
Je le regardai. Un soupçon sinistre m’avait traversé la pensée.
— Quel âge a-t-il, le petit ? interrogeai-je.
— Sais pas, la mère est morte : à peu près dans les quatorze ans, grommela la brute.
— Blond ?
— Filasse, oui, pourquoi ? L’avez-vous vu ?
— Non, fis-je en frissonnant, car je restais hanté de cette vision de la grange, à mon entrée dans