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plus parisien que le peintre des Incroyables, en qui revivait un Debucourt avec la grâce des maîtres du dix-huitième siècle les plus raffinés. Sa souplesse de dessin était incomparable. Il crayonnait une forme, comme l’araignée ourle sa toile, du bout acéré du graphite, entre deux bouffées de cigarette. Je me rappelle qu’il peignait avec des brosses fines, pointues, si rares de poils que nous les nommions des « cils de-z-yeux ». Je n’en ai connu d’aussi menues qu’à Bastien Lepage, et celles de Meissonier lui-même étaient, en comparaison, des rats-de-cave à badigeon.

Lorsque dans les tableaux des camarades il y avait un motif à traiter d’architecture ou d’ornementation archéologiques, on allait chercher « Kæmme » et ses cils de-z-yeux. Il arrivait avec ses deux petites boîtes, dont l’une était sa boîte à clous, atavique, pour retendre les châssis, s’ils n’étaient pas tendus à son gré, et en deux paquets de cigarettes, il exécutait, sans appui-main, le motif archéologique. Ce fut ainsi que dans une toile immense et champ-de-marsienne de Georges Becker, Respha défendant ses fils contre les vautours, le boucher de l’une des potences où se tordent les suppliciés fut improvisé au cil de-z-yeux par notre habilleur des charades bibliques. J’ajoute, en vue de postérité, que toute la base de ladite potence est de ma propre palette, ou plutôt d’un pot de tons mêlés où, le soir, Becker raclait la sienne. Il n’y avait qu’à prendre un couteau flexible et qu’à cimenter, comme à la truelle, pendant que Léon Glaize, docte aux formes humaines, achevait, de-ci de-là, des bras, des jambes et des coins de torses ébauchés. Il est vrai que douze por-