Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

malgré-lui m’avait tiré à part pour me donner un conseil secret. La pièce n’avait pas cessé de lui plaire, bien au contraire, et s’il était le maître !… Mais la Société Nantaise en attendait une de Sardou, et, avec celle-là, rien à craindre, n’est-ce pas ? Mais on savait qu’elle n’était pas prête. Il m’engageait donc à aller voir le maître à Marly et à obtenir qu’il retouchât mon travail, d’abord, et, ensuite, qu’il me cédât son tour sur l’affiche. — Vous n’aurez plus alors qu’à rendre visite à Mlle Fargueil, la seule comédienne qui puisse réaliser votre personnage de femme, et cela fait, revenez nous voir avec leur double consentement, peut-être pourrons-nous nous entendre. Mais n’en parlez à personne.

Quoique fort jeune alors, vingt-trois ans, je l’étais plus que mon âge. Je crus ! J’allai à Marly. Je me rappelle que j’y arrivai à neuf heures du soir. Sardou sortait de table. Il se mit à rire de l’heure indue de ma visite, et me demanda si j’avais dîné. Sur l’aveu que l’idée ne m’en était pas venue, son hilarité monta au paroxysme. Il se mit à appeler à haute voix ses gens de service à la façon du vieux répertoire : Holà, Jasmin, Labriche, Bourguignon, maroufles, apportez céans le reste du perdreau, et une bouteille du meilleur, ou je vous étrille !… Et à présent qu’est-ce qui vous amène ? — Votre pièce du Vaudeville, et la mienne. — Vous en avez une à ce théâtre ? Ils ne me l’ont pas dit. — Qui ? — Les Nantais, les « rarinantès », comme les appelle Scholl. Ils me la rendent, à moins… — À moins ?… — Que vous ne la leur retapiez, et, car ce n’est pas tout, que vous ne me cédiez votre tour d’affiche. Voilà.

Ceux qui ont connu Victorien Sardou savent