Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/251

Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle, il avait fallu l’élever par les coups, comme un mauvais gars, et jamais on ne l’avait vu rire, entendu chanter, surprise à se parer. Elle n’aimait rien ni personne. Ah ! celle-là était bien pour le cloître, preuve que la nature en fait, quoi qu’on en dise. Il n’en allait pas moins que la terrible fille s’était peu à peu emparée, servante à la fois et maîtresse, de la direction des affaires familiales. Elle tenait les comptes, réglait les fermages, touchait les loyers et allait payer les impôts à la ville.

On ne lui accordait aucune chance à l’héritage. Le père Legoaz voulait de la descendance et il savait que Madeleine n’était pas mariable. Qui donc s’exposerait à vivre avec une méchante, impatiente de tout joug, et dont les animaux même avaient peur ? Non, bien sûr, ce n’était pas son nom qui remplirait la ligne blanche du testament.

Un soir, à la soupe, Yvon-Conan Legoaz annonça sa mort prochaine, du reste très simplement :

— J’ai les soixante-six, leur dit-il, c’est l’âge où ceux de ma race s’en vont.

Sur la route, à la nuit tombante, il avait rencontré le fantôme de son propre père, une grande ombre blanche, assise sur les degrés du