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homme gigantesque qui, sur le banc de l’octroi, cirait ses bottes.

Vue banale, assurément, si cet homme ne m’eût lancé un regard oblique que l’érubescence de ses paupières enflammées me fit attribuer à mauvais présage. Il me parut aussi que les bottes qu’il cirait étaient énormes, antiques, et assez pareilles à celles des postillons de berlines qui, maintenus par leur poids en équilibre, dormaient à cheval, et debout, d’un relais de poste à l’autre. Et comme la route s’ouvrait, large, aérienne, aimantée, j’accélérai ma vertigineuse.

Or, je n’avais dévoré que douze kilomètres environ quand l’homme aux bottes passa, jambes ouvertes, par-dessus ma tête, en l’air, et s’effaça sous l’horizon. Avais-je déjà la fièvre, cette fièvre propre au sport de la vitesse ? Non, mon pouls donnait la normale. Alors, quel était ce gymnasiarque qui bondissait ainsi, léger, dans pareilles bottes, sur une voiture à demi déchaînée ? Un nuage caricatural, sans doute, formé et emporté par le vent.

Mais, fait étrange, à seize kilomètres plus outre, il se dressait, perché sur une borne miliaire, d’où, pour inspecter la profondeur d’un bois où’s'enfonçait la route, il dardait son regard