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Le comte me fit asseoir à côté de lui. Une des premières questions qu’il me posa fut pour me demander si je tirais à cinq.

— Cela dépend de l’inspiration, — répondis-je.

— Bien dit. Moi je ne tire plus, depuis 1866. Un serment. Une peccadille. Un jour, chez Walewski, une partie d’enfer. Je tire à cinq. Je m’embarque, naturellement. L’autre avait quatre. « Idiot ! », me crie le petit baron de Chaux-Giseux, qui pontait sur mon tableau des sommes vertigineuses. V’lan, je lui lance une bouteille de champagne à la tête. Il se baisse. C’est le maréchal Vaillant qui reçoit la bouteille. Tableau ! La chose s’arrangea, parce que nous étions tous deux francs-maçons. L’empereur me fit jurer de ne plus tirer à cinq. J’ai tenu ma promesse. Mais il y a des moments où c’est dur, dur.

Il ajouta, d’une voix noyée de mélancolie :

— Un peu de ce Hoggar 1880. Excellent cru. C’est moi, lieutenant, qui ai enseigné aux gens d’ici l’usage du jus de la vigne. Le vin de palmier, estimable quand on l’a fait convenablement fermenter, deviendrait, à la longue, insipide.

Il était puissant, ce Hoggar 1880. Nous le dégustions dans de larges gobelets d’argent. Il était frais comme un vin du Rhin, sec comme un vin de l’Ermitage. Et puis, soudain, remembrance des vins brûlés du Portugal, il se faisait sucré, fruiteux ; un vin admirable, te dis-je.

Il arrosait, ce vin, le plus spirituel des déjeuners. Peu de viandes, à la vérité, mais toutes