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pitié… Et chez nous, vois-tu, ce n’est pas très gai, maintenant que tu es parti… Il y a un vide. Quand tu rentrais, tu avais vu des gens, tu racontais des histoires ; on s’amusait, même en se chamaillant.

Un temps.

Pierre. — Suzanne…, est-ce bien ton frère qui te manque tant ?

Suzanne. — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Pierre, très doucement. — Tu voudrais te marier, hein ?

Suzanne, vivement. — Oh ! je ne laisserai pas maman seule !

Pierre. — Pourtant… Il faudra, un jour…

Suzanne. — Pas tout de suite après toi !

Pierre. — Alors, je t’empêche d’être heureuse ?…

Elle s’assied près de lui.

Suzanne. — Non, mais, je voudrais que tu sois mon frère autant qu’avant… Je parlais de toi à mes amies, je leur racontais tes succès ; je n’ose plus, je sens que tu n’es plus aussi intime.

Pierre. — À quoi le sens-tu ?

Suzanne. — À tout… Tiens, ce n’est pas à moi, que tu aurais demandé du thé…

Pierre. — Oh ! je ne pensais pas…

Suzanne. — Tu as tort.

Pierre. — Ça te fait tant de plaisir de te dévouer ?

Suzanne. — Quand j’aime les gens, bien sûr !…

Pierre. — Sais-tu, Suzanne…, que tu seras une femme exquise, si on te trouve un mari assez fin pour ne pas te faire de peine… Car tu te fais de la peine pour pas grand chose… Maintenant, moi, écoute donc, je prendrais très bien deux tasses de thé… Je garderai même la tienne pour la fin.

Suzanne, contente. — Vrai… ? Je cours la faire ! (Dans la porte, elle rencontre sa