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(Rentrée de la bonne. Irrité.) Vous revenez chercher ma dernière assiette ? Bon. Enlevez ma dernière assiette. Je mangerai dans le creux de ma main. Enlevez mon verre : je vais boire d’avance. Enlevez la table : je m’installerai sur mes genoux. Enlevez ma chaise : je m’assiérai par terre. Et enlevez-vous : je serai beaucoup mieux !

La Bonne. — Monsieur…, c’est pour le train.

Pierre. — Mais filez-y donc au train ! Courez le chercher à la station d’avant !

Alors, la bonne, vexée, retire le couvert, puis la nappe ; et elle le laisse avec sa seule assiette sur le bois de la table. Il se réinstalle bien, et se met à éplucher tranquillement une poire. Un temps.


Scène IX

Marinette, paraissant à la porte. — On peut entrer ?

Pierre. — Tiens, c’est vous ?

Marinette. — Je vous apporte le livre promis.

Pierre se lève. — Oh ! vous êtes gentille… (Bafouillant.) Merci bien. Voulez-vous le poser là ?… J’ai les doigts pleins de jus de poire.

Marinette. — Vous finissez votre dernier repas… tout seul ?

Pierre se remet à sa poire. — Oh ! naturellement, seul ! Il y a eu ce qu’il y a toujours : la crise de larmes fatale… Madame énervée ! Mademoiselle fait comme sa mère… Alors, on s’en est pris à moi, pour tenir un prétexte ; et, après m’avoir maudit, on est monté dans les chambres, sangloter et se retremper à deux : « Ah ! Suzanne, si je ne t’avais pas ! — Ah ! maman, si je ne t’avais plus ! » Cette poire est, d’ailleurs, une merveille… Et alors, voilà : je reste méditatif, et me nourrissant par raison ; mais le fait même que je me nourris