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GRANDGOUJON

maussades, sa mère montrait le poing à l’Université, et l’embrassait avec passion :

— Petit… pas de chagrin… et d’abord tu vas te reposer.

Dans sa sollicitude, elle le supposait, épuisé toujours. Dès qu’il avait le nez sur un livre, elle lâchait son ouvrage et soupirait :

— Ces pauvres jeunes gens !

— Quoi donc ? demandait son fils, heureux d’être distrait.

— Chéri, reprenait-elle, si tu te sens la tête lourde…

— C’est-à-dire, faisait-il, que je commence à avoir faim…

Elle courait chercher des gâteaux ; lui écartait ses livres : ils grignotaient ensemble. Puis, de la bibliothèque, il tirait un Hugo ou un Musset ; il se mettait avec des gestes à réciter des vers. Sa mère avait les yeux humides : « Ce que tu ressembles à ton père ! » Et ce gros enfant tout brillant de bonne humeur, la caressait, roulait la tête dans son cou, et d’une voix qui avait mué drôlement :

— Tu as bien fait, va, de me mettre au monde !

— Singe aimé, bredouillait-elle, mange, mon singe, prends des forces.

Il prenait aussi du poids et de la rondeur, mais une rondeur maniable en dépit du poids. — Il n’était pas encombré de sa personne. Quand son cœur allait vers les gens, son corps aussi savait courir, et il paraissait léger, soufflé, abondant, irrésistible.